A l’âge où Samantdi rêvait de poupiner un petit frère ou une petite sœur, j’attendais moi aussi que ma mère enfante. Comme j’envie les blogueurs qui parlent de leur fratrie !

Mon attente à moi se faisait longue. Mais cela ne devait être rien par rapport à celle de ma mère ! Je l’entendais parfois en parler avec ses amies ces après-midi où elles se retrouvaient chez nous pour siroter le thé. Je tendais l’oreille dès qu’elles baissaient la voix. Certains mots que je ne comprenais pas revenaient plus que d’autres. Le mot « utérus ». En turc cela se dit « rahim », traduit en français cela se rapproche plus de « matrice » que d’utérus. C’est un drôle de mot. Sa consonance étrangère (c’est un mot venu en turc de l’arabe) me frappait. J’avais l’impression d’un mot dangereux, un peu magique.



Ma mère qui avait déjà eu deux enfants, le premier mort d’une maladie infantile bénigne, et moi, ne parvenait pas à en avoir un autre. Ses "amies" s’interrogeaient : c’était peut-être à cause de cette pilule qu’elle avait top longtemps prise après ma naissance ? De l’exil en France qui l’avait tant éprouvée ? De la vieillesse ? Non pas déjà... Ah la stérilité, ce « malheur » dont on n’a longtemps accusé que les femmes ! Comme si leur existence ne se justifiait que par leur maternité. Difficile de se libérer de cette assignation.

Naïve, je demandais pourquoi il fallait chercher la cause du côté dema mère et pourquoi mon père ne passait jamais d’examen médical, lui. Les femmes dans le salon de ma mère baissaient encore plus la voix et j’étais renvoyée à mes devoirs. Je ne les aimais pas ces bonnes femmes et toute leur marmaille braillante qui s’infiltrait dans ma chambre de petite fille unique et solitaire: elles ne faisaient pas de bien à ma mère, je le sentais confusément.

Pourquoi mon père ne passait pas d’examen médical ?

Je l’ai su bien des années plus tard, quand j’ai appris qu’à peu à la même période, il avait eu un enfant, un garçon.

Et si c’était à cause de ça que ma mère ne pouvait pas en avoir d’enfants ?

Mais de ça, alors que j’attends avec ambivalence de tomber une seconde fois enceinte, je n’ai vraiment pas la force de parler maintenant. Ni de lui, ce frère que je connais si peu.