Premier amour.‎

L’autre genre avait en effet commencé son travail de conquête un an plus tôt.‎

Pourquoi ne serait-on pas amoureux à six ans d’une vieille de neuf ? Deux ou trois choses que je sais ‎d’elle : elle m’avait adopté, au milieu du monde impitoyable de la colo de Lacanau, encore Lacanau à ‎la colo Les Hermines, le dernier Lacanau. Elle avait joué avec les autres sans me laisser. Elle m’avait ‎laissé le cadeau de son prénom, jamais oublié.‎

Elle s’était intéressée au petit chétif encore convalescent. Qu’on jette un œil sur moi et soudain ‎l’émotion me submerge, alors vous pensez, la jolie châtaigne qui me parlait au milieu des aboiements ! ‎Je me souviens de cet étrange goût de reviens-y quand elle me parlait puis repartait pour de nouvelles ‎aventures. Elle jouait avec les autres vieux de son âge à des jeux qui me surprenaient, ils jouaient à se ‎marier.‎

Je me demandais comment ils s’organisaient dans le jeu pour les enfants qui vont avec forcément, ‎quand on se marie il y a des enfants, déjà je n’avais pas tout compris des histoires de graine dans le ‎ventre visiblement des bobards pour me faire taire. Comme d’habitude, je me taisais et guettais le ‎passage de la vérité, surtout ne pas rater l’occasion d’en savoir plus. Mais à ces jeux rien ne fut clarifié, ‎et pas question de servir de poupon, la belle s’y opposait. Il me fallut attendre encore beaucoup ‎d’années avant que la graine trouve le bon chemin, et ce ne fut guère que par des travaux pratiques très ‎tardifs que les points décisifs ont été réglés pour de bon.

Les bonnes vieilles années soixante de blocus ‎ont fini par sauter, et moi aussi.‎

Pourquoi amoureux, franchement ? Une seule raison explique cette certitude. Aujourd’hui que me ‎restent seules la clarté de ses cheveux bruns et cette affaire de graine, l’inconscient vous dis-je, je me ‎souviens de son prénom avec la certitude qu’il s’agit du vrai prénom de mon vrai souvenir : Hélène. ‎Elle aura toujours neuf ans, la vieille. En voilà une preuve qu’elle est irréfutable.‎

Et je n’avais pas encore traduit l’Iliade.‎

Assez bavardé, je pourrais écrire deux cents billets sur mes frères et sœur, juste pour cacher mon ‎incapacité à me souvenir de rien cette année là, le CE1, et l’été qui suivi, mauvais en classe, été de ‎devoirs de vacances, quand je vous disais traumatisme. Je ne suis rien qu’un pauvre chéri.‎

Année 1953. FIN‎