Je vais avoir 20 ans. Début octobre, avant ma première rentrée universitaire, Je pars faire les vendanges près de Libourne, le prestigieux Pomerol !

Une belle équipe d'étudiants et d'étudiantes a été recrutée, des scientifiques. J'ouvre grand mes yeux et mes oreilles, dans quelques jours je serai à la fac moi aussi, mais en Lettres.

Il fait très beau, presque chaud, l'après-midi nous travaillons bras nus. Le rythme de travail est très soutenu, et je découvre l'ambiance "vendanges" : blagues aux citadins, chansons plus ou moins paillardes... Les journaliers repartent le soir, les joues rouges, épuisés eux aussi. Nous les jeunes, sommes logés au Domaine, et abondamment nourris. Chambrées de filles, chambrées de garçons bien sûr. Dès les premiers jours, j'ai remarqué un beau brun barbu très gentil, l'air toujours de bon humeur. Il s'arrange pour travailler très souvent avec moi. Nous nous faisons face de chaque côté du rang de vigne, et peu à peu, nos yeux se cherchent à travers les feuilles, nos doigts se frôlent... Au casse-croûte de 9 heures, nous dévorons de bonnes tartines de rillettes, en riant. C'est un Grand, un étudiant en maîtrise de physique, et je sens que je suis en train de devenir amoureuse dans la douceur de l'été indien.

Depuis mes 15 ans j'ai évité l'amour et les amoureux. J'ai bien eu quelques amourettes, mais j'ai toujours su garder mes distances, quitte à me faire traiter de "fille pas libérée, de "coincée" et j'en passe... Tant pis. Mais non, au contraire, ai-je envie de leur dire, je suis libre et je veux le rester. Pas question de me retrouver enchaînée par une grossesse imprévue. J'ai trop en tête l'image des mes anciennes amies d'école qui après un court passage à l'usine se retrouvent à mon âge, déjà maman, mariées ou pas, dépendantes, avec la bénédiction passive des familles.

Je n'imaginais pas que mes copines lycéennes tomberaient dans le même piège ! Et pourtant, certaines furent chassées du lycée car enceintes, d'autres plus aisées et informées savaient où aller avorter... Alors il n'y a pas que les pauvres qui se font avoir par les hommes ? J'ai vraiment beaucoup de chemin à faire pour me réconciler avec eux, ne plus les voir comme une menace... Il faut dire que ma scolarité chez les Bonnes Soeurs m'a marquée durablement dans ce domaine ! Bien coincée c'est sûr ! La révolution sexuelle ? Des mots pour l'instant pour moi.

Il prend tout son temps mon bel étudiant pour m'apprivoiser, rien n'a l'air de le presser... J'apprends avec lui les relations simples, j'accepte l'idée d'être amoureuse, de ressentir du désir... A la fin des vendanges, lui et moi savons que nous allons nous retrouver à la fac. Nous en avons l'un et l'autre le désir. Très fort.