La vie marche par cycle de sept ans, bien sûr, cette année là, en abordant le deuxième de ces cycles, je n'en suis pas vraiment consciente, et je veux bien croire ce qu'on m'en dit, accepter les responsabilités qui vont avec cet axiome que j'entends, j'en suis certaine, de part et d'autre. J'ai un sourire édenté et une coupe au carré qui me va toujours aussi bien, et je suis populaire.

Mes amies Marie-Claude ou Patricia sont d'un autre milieu social, mais je ne m'en aperçois pas, ce n'est que bien plus tard que je recollerai les morceaux de la conscience, cependant je suis intimement persuadée que notre amitié aura joué un rôle fondamental dans mes porte-à-faux avec les rôles auxquels me destine mon milieu d'origine. Je suis bien avec elles, nous jouons ou bavardons exactement comme si nous étions des soeurs, et même si cela me traverse l'esprit, je ne crois pas que je pose mes questions tout haut, à savoir pourquoi je ne gravirai jamais les sept étages qui mènent chez Marie-Claude, tout auréolée qu'elle soit de sa parenté immédiate avec un coureur cycliste très en vogue en son temps.

Patricia m'accueille plus facilement dans la loge de sa mère, et nous jouons souvent dans la cour, c'est très pratique. J'ai aussi mes petites amies filles de docteur, et leurs appartements me semblent toujours plus cossus que le mien, mais ce n'est pas nécessairement là-bas qu'on s'amuse le mieux. Je suis bien élevée et polie et j'ai de bonnes notes à l'école, je passerai bientôt en tête de ma classe et y resterai sans que cela nuise à ma popularité.

C'est la première fois que je me fais pourtant traiter de sale juive. Je ne sais pas vraiment ce que ça peut bien vouloir dire, et je ne m'en formalise pas pour autant. L'insulteuse n'a pas pu inventer dans l'air du temps sa tentative de mépris suprême, mon absence du catéchisme où la majorité des élèves de la classe prépare sa première communion a nécessairement dû renseigner sa famille qui en aurait tiré des conclusions rapides. Je ne me souviens pas que cela ait prêté à la moindre conséquence, c'est clair que mon monde ne tourne pas du tout autour de ces questions-là, je nage dans une sorte de sérénité bienheureuse, et j'achève ce cycle de la petite enfance sans heurts ni tracas.