L'hiver, il neige. C'était une époque où il y avait encore des saisons.

Nous sortons et nous promenons.

Marche lente, toujours. Petites allées arborées, le long de fausses rivières, peuplées de vraies canards et vraies carpes. Les adultes emmènent du pain rassis pour que la petite Antagonisme puisse donner du pain aux canards. Six regards suivent des yeux ses mouvements et commentent gestes et expressions.

Six : maman, papa, papi, mamie, et les deux tatas.

La petite Antagonisme est heureuse. Forcément. Elle habite au Paradis et elle ne le sait pas. On ne le sait que quand on en sort. Elle n'en est pas sortie.

Ce monde clos, refermé sur lui-même, est chaud et sécurisant. Elle ignore qu'elle n'a le droit de rien faire : pas en âge de vouloir faire quoi que ce soit. Tous ceux qui la regardent l'aiment. Elle n'a déçu, blessé, contrarié personne. Dès qu'elle parle, on se récrie. Antagonisme s'aime bien puisque tout le monde l'aime. Son univers rétréci est confortable comme une pantoufle ou comme une couette tiède.

L'été, tout le monde va à la campagne.

C'est la vraie campagne, avec de la bouse de vache, des lavandières à la rivière, du lait dans des pots à lait qui font un bruit de ferraille.

Antagonisme, toute jolie dans des robes à fleurs de la petite maison de couture du XVIème de Mamie (elle est gentille, Mamie, elle achète toutes les robes de la petite fille pour éviter à maman d'avoir à le faire), monte et descend la rue principale du village, aux côtés de papi ou d'une des tatas ou de mamie (on laisse maman se reposer en banlieue ouest). Tartines de pains beurrées saupoudrées de cacao, tartes aux pommes, tartes au sucre.

Toujours le bonheur.