J'étais là, enfin... Vivante petite chose que ma mère trouva laide à biens des égards. Son désarroi fut complet lorsqu'elle sut que je n'étais qu'une fille, et une moue de déplaisir accompagna son bref commentaire "Quel horrible petit singe tout poilu !" Et c'est vrai que je l'étais, rouge des efforts pour venir au monde, pourvue de longs poils noirs sur le dos et derrière les oreilles, une masse de cheveux drus et bruns dressés sur mon crâne quelque peu déformé par le passage. Je piaillais et gigotais comme un petit animal, sentant instinctivement la répulsion, l'animosité de celle qui l'avait conçu. Pourtant, mon envie de vivre malgré tout, ma force à me battre coûte que coûte se lisait déjà dans mon corps, par ses poings fermés et crispés, par ce regard farouche et ses cris perçants que rien n'arrivaient à calmer.

Vint le moment où l'on me mit au sein de ma mère. C'est avec un certain détachement, ou plutôt un détachement certain qu'elle accepta cette petite bouche gourmande happant avidement cette partie de son intimité. Malheureusement, sitot recouchée, je vomis le peu que j'avais ingurgité. Et il en fut ainsi à chaque tétée. Le personnel médical diagnostica une béance du cardia, nécessitant une alimentation épaisse et d'être "assise". Et ma mère de dire "Elle commence bien celle-là !". La terrible épreuve du nom arriva très vite. Mes parents n'avaient choisi qu'un prénom masculin, alors que ma mère entrait à l'hopital. Celui du jour... Valentin. Mon père refusa la féminisation, je lui en suis vraiment reconnaissante. Non pas que je n'aime pas ce prénom, mais il aurait été si difficile à porter pour moi, vu la suite de ma vie. Ils se décidèrent pour le prénom de ma marraine pré-supposée, qui hélas refusa ce rôle... Puis, comme la tradition familiale l'imposait, un prénom chacun, d'abord le choix de ma mère, puis celui de mon père. Ainsi, pour l'état civil, je suis Hélène, Agnès, Laure. Combien ai-je détesté ces prénoms !

Nous rentrâmes au foyer, et je pris place dans un petit lit que mon père avait acheté, de bois blanc et d'osier, coincé dans une petite niche, dans la toute petite chambre de mes parents, du coté de ma mère. C'est là que j'allais passer les nuits de mes 6 premières années. Immédiatement, la fratrie se scinda en deux. D'un coté mes grandes soeurs pour qui je ne fus qu'un élément perturbateur de plus, de l'autre, mes grands frères qui prirent leur rôle de nounou à coeur. C'est eux qui me nourrissaient la plupart du temps, qui me promenaient, me cajolaient. De ce temps là, je n'ai que quelques diapos, où je ne suis jamais dans les bras de ma mère... dans le landeau, contre un oreiller dans mon lit, dans les bras de mon frère T, quelque fois dans ceux de JM, sur une couverture lors q'un pique-nique, mes frères tout contre moi et mes soeurs à la limite du hors-champ, dans mon parc... Je suis un beau bébé tout rond, la peau mat, habillée de layette tricoté ou crocheté par ma mère, toujours le sourire, le regard franc qui regarde l'objectif avec curiosité.