On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans... Toi, tu en as vingt. Quand on s'est rencontré, tu en avais presque dix-huit ; moi, j'étais une gamine de même pas quinze ans. Il m'avait fallu du temps pour te remarquer réellement ; presque neuf mois s'étaient écoulés jusqu'au jour où nous nous avions réellement discuté pour la première fois. La première de longues fois qui se terminaient toujours tard dans la nuit... Je m'en souviens encore ; un professeur dont la personalité faisait des étincelles avec la tienne venait de te remonter sévèrement les bretelles en petit comité, devant juste un autre étudiant impassible et moi qui me faisais aussi petite que possible tout en me battant avec ma craie, mon coin de tableau, la brosse et un problème d'algèbre linéaire. En m'efforçant de te remonter le moral à la fin de cette joyeuse scéance, j'avais remarqué tes yeux et ton sourire pour la première fois.

Maintenant on me dit « Lui ? Tu ne t'embêtes pas ! ». Il m'avait tout de même fallu six mois de plus pour te trouver un charme insupportable, le temps de tomber amoureuse d'un garçon merveilleux et de commencer à recoller les morceaux du coeur qu'il m'avait brisé. Quelques indices me soufflaient que je te plaisais. Et puis on s'était tourné autour l'un de l'autre un moment ; mais nos timidités excessives, nos insécurités respectives et l'infranchissable fossé qu'était celui de nos âges ont fait qu'il a fallu des détours par d'autres conquêtes et quelques accoutumances pour que tu m'embrasses ce soir.

On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans... Je devrais travailler pour les concours, dont les épreuves écrites approchent à grands pas. Toi aussi, d'ailleurs, mais la science et l'ingénérie ont définitivement cessé d'intéresser un autre que ton père il y a un moment de cela, alors, les concours... les passer mais les foirer, voilà la seule façon que tu as trouvé de lui tenir tête, quelle perte de temps ! (Mais moi, ça m'a évité de te perdre, n'est-ce pas ?).

On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans... Cette histoire n'en n'est même pas une ; des baisers enflammés, volés en cachette, est-ce ça que j'attendais de toi ? Je m'en moque : j'ai passé tellement de temps à te vouloir, toi, que tu peux être mien imparfaitement et alors que j'avais déjà renoncé. Je connais tous tes défauts : j'en ai passé des nuits blanches à les lister pour me convaincre de ne plus t'aimer ! Ils ne m'empêchent pas de ne pas pouvoir résister à tes yeux, à ton sourire, à ta douceur, à ta fausse candeur, à tes baisers...

Ca ne doit pas durer, n'est-ce pas ? C'était juste ce soir, n'est-ce pas ? C'est ce que nous prétendrons jusqu'à nous retrouver l'un et l'autre, encore et encore... Jusqu'à ce que la distance nous sépare et que les larmes dans tes putains d'yeux se gravent dans ma mémoire pour me rappeller cet immense gâchis...

On est pas sérieux quand on a dix-sept ans... Je passe des après-midi et des soirées entières avec ma petite bande ; on s'étale sur notre mal-être, on se raconte nos amours malheureuses, on s'auto-analyse, on rit et on pleure ensemble. Je passe les concours, décroche un oral, atterris à l'autre bout de la France, loin de Paris et loin de toi. Je rencontre mon premier amour qui dure, mais je le nomme mal : il est la première relation amoureuse sérieuse qui dure ; mon premier amour qui dure, c'est celui que j'ai eu pour toi.