J'y suis, ça y est ! Que je suis contente, j'adore l'école, jouer à la maîtresse et tout et tout. Mon petit frère me torture d'ailleurs, parce qu'il me promet qu'on va y jouer... demain, et je me dépêche de m'endormir pour pouvoir être plus vite à demain, et le matin quand je me précipite pour préparer le tableau et la craie, il me déclare d'un air blasé qu'il a changé d'avis et qu'il ne veut plus jouer, et s'en va rejoindre le grand. Quel monstre !

A la vraie école, j'ai l'horrible Mademoiselle Matthieu. Elle est mauvaise. Méchante. Elle nous déteste. Elle a une règle, de ces règles en fer carré, et elle nous tape sur les doigts avec. J'ai sauté une classe, je suis en dixième directement, parce que je sais lire, on ne va pas en onzième quand on sait déjà lire. On ne compare pas encore nos âges, je n'ai pas l'impression d'être plus jeune que les autres, et puis on est plusieurs à avoir sauté une classe, ma copine Catherine Marronier aussi. Mais je n'ai plus de petit ami, c'est l'école des filles, les garçons sont dans l'autre rue, celle de mon école maternelle, qui est adossée à notre cour, et derrière le mur on les entend. On doit même pouvoir les apercevoir par certains interstices, on se parle, on s'échange des secrets, ça nous permet à nous les filles, de nous disputer tranquillement, toi je ne t'aime plus, j'te cause plus si tu causes encore à Béatrice.

Mademoiselle Matthieu est tellement horrible, que l'autre maîtresse de dixième lui envoie ses élèves quand elles ont besoin d'être punies. C'est fou ce qu'on est souvent punies à cette époque. Elle m'envoie dans le placard. C'est le placard où elle range les fournitures, j'y prendrai vite goût, aux fournitures, leur odeur de neuf, surtout le papier gisol, avec lequel on couvre les livres, le rouge, le vert et le bleu, un délice, et les petits pots de colle à l'amande, avec la pelle, j'en ai mangé de la colle, quel régal ! Je mastique aussi le buvard, c'est trop bon.

J'avais les doigts toujours tâchés d'encre, ça m'arrive encore aujourd'hui, et je crois bien que c'est pourquoi je n'ai jamais oublié l'horrible Mademoiselle Matthieu. Mes plus grandes haines, comme maîtresses ou professeurs ont eu un nom en forme de prénom masculin, qu'on se le dise, elles sont à fuir celles-là !