Les récits de voyages familiaux étaient émaillés de ce "elle a eu dix-huit mois à Porto". Chaque été mon père nous emmenait en expédition, dans la quatre cent trois commerciale bleu marine. Tentes canadiennes, table de camping pliante : une grande valise en bois qui contenait tout le matériel de cuisine et les sièges, vache à eau en toile, que l'on suspendait à un trépied de bois. Nous faisions essentiellement du camping sauvage. De Porto cette année-là, je ne me rappelle rien. Les souvenirs d'enfance sont souvent liés à ce que l'on nous en a raconté et aux photographies que l'on en a vues. Mon père filmait avec une caméra huit millimètres. Les images de ces films sont gravées dans ma mémoire : le battage des blés avec des ânes, les charettes à roues pleines, les villes sans voitures, les pêcheurs et leurs filets à Nazaré. Les femmes en noir, ma mère en maillot de bains sur des plages sans touristes. Mon premier souvenir conscient et visuel, c'est le retour de ce voyage. Malade, je souffrais de ce que l'on appelait une crise d'acétone. J'avais dix-huit mois. Assise sur la murette du jardin avec ma soeur, je me rappelle très distinctement avoir vomi sur son espadrille verte. Août 1958