Je ne sais pas si mes parents s'aimaient vraiment. Sans doute un peu quand même, puisque leurs fiançailles ont duré, duré jusqu'à ce qu'ils soient parfaitement sûrs de leurs choix. Personne n'a jamais officiellement jasé, ce qui est parvenu à mes oreilles n'est que des bribes de racontars que je n'ai jamais osé vérifier. Les gens sont parfois tellement méchants, gratuitement.
On a dit dans ma famille que mon père avait fait un mauvais mariage et que celui de ma mère était porté par l'intérêt d'accéder à une classe sociale plus aisée. C'est triste une famille, parfois.

Je suis née le 10 avril 1959, aux environs de 14H.
Bien sûr, et ainsi que la plupart des pères de cette époque, le mien n'était pas là.
Quand j'ai vu le jour, ma mère dormait, assommée par le masque à éther qu'on utilisait à cette époque quand un accouchement virait au pire.
Elle est depuis allergique à l'éther et au roquefort, conséquences apparemment logiques de son empoisonnement de jeune accouchée, l'allergie au second découlant de l'exposition au premier.
Je ne voulais pas naître, mes forces de trop petit bébé m'avaient abandonnée. Il a fallu qu'ils me sortent de là manu militari, autrement, j'y serais encore. Est-ce pour cette raison que j'ai peur de l'eau, parce qu'on m'en a tirée trop fort ou trop vite, du moins à un moment où je ne m'en sentais pas encore capable?
Ma mère a lutté pendant 48h pour me mettre au monde. J'ai gardé la trace des forceps pendant plusieurs mois. Je l'envie de son courage. Moi, actrice de cette naissance, j'aurais tout envoyé ballader, demandé une césarienne, hurlé, vociféré, déclaré que finalement je n'en voulais plus de ce bébé trop faible pour montrer son nez.

Je ne lui ai jamais dit merci. C'est bizarre comme on ne remercie jamais ou si peu ses parents de ce don qu'ils nous ont fait.
Alors, pour attraper le temps qui passe, merci, maman.