Eté 1969, j'ai 16 ans je pars travailler dans une colonie de vacances de la Mairie de Bobigny, près de La Cotinière dans l'Ile d'Oléron. Nous, le personnel d'entretien arrivons deux jours avant l'arrivée des enfants, pour tout nettoyer et préparer. J'ai la bonne surprise de découvrir Nelly, qui vient de ma petite ville. On ne se connaît pas, elle fréquentait l'école publique. Nous logeons avec deux autres jeunes filles dans la même chambre. Les enfants arrivent au petit matin, et descendent du car l'air apeuré, fatigués et timides... J'ai autant la trouille qu'eux, moi aussi c'est la première fois que je quitte ma famille, ma rue, et je découvre le monde du travail ! Très vite je me sens à l'aise, presqu'en famille avec les cuisiniers et toute l'équipe. Nous travaillons dur, mais nous sommes libres une partie de l'après-midi , et avons un jour de repos par semaine. Nous nous organisons pour aller à la plage en stop, se faire des petites soirées sympas, et rigoler. Ma chambrée de filles me plaît, nous partageons tout, nos fringues, nos idées farfelues, nos rêves, nos peurs...

Peu à peu je me rapproche des "aristos" de la colo : les moniteurs et monitrices, les Monos ! Je suis fascinée par leur aisance, leur gaité, leur autonomie. Ils sont étudiants, ce sont des adultes pour moi, comme je les envie ! De temsp en temps, ils m'invitent à passer la journée avec eux et les enfants lors de mon jour de repos... Et à partager leur soirée entre monos, où ça discute, pérore, fume, picole, drague, la vie des grands en somme... Leurs études les passionnent, ce ne sont pas des gosses de riches, et très vite ils m'associent à leur groupe. Je les admire en silence, heureuse d'être avec eux. Et je me dis, voilà, il faut que j'y arrive, qu'un jour je sois moi aussi une étudiante !

Le matin, lorsque je reprends le travail à la cuisine, mes collègues me "taquinent" en faisant un peu la gueule : Alors ils sont mieux que nous les Monos, tu préfères les intellos ? On n'est plus assez bien pour toi ? Et voilà, c'est le début d'un long déchirement : oui je voudrais faire comme eux, mais oui je vous aime vous aussi !