1989. J'ai tout juste un an et je suis déjà bavarde.

Je sais pas marcher. J'invente des chansons.

Le ventre de Maman s'arrondit, comme un petit ballon. Je m'en étonne. Alors on m'explique ce qu'il y a à l'intèrieur.

Un bébé. J'ouvre des grands yeux. Comment un bébé a pu rentrer là dedans? Les adultes disent des choses bizarres des fois.

Je regarde le ventre de Maman. Je regarde ma poupée. Mouais. Pas convaincue.

Je suis si petite encore, et déjà si grande. Dans les yeux de mes parents je vais être l'aînée.

C'est moi qui annonce à Mamie, puis à toute la famille, que je vais avoir un petit frère.

- Ce sera peut être une fille tu sais Audrey - Une petite soeur c'est bien aussi...

Non. J'aurais un petit frère. Je le sais bien moi. Et ce sera mieux qu'un poupée: un bébé, un vrai.

Je leur explique comment le bébé est venu là. C'est Maman qui m'a dit. J'ai un an et demi et je comprends dejà tout.

Mais je marche à peine. Tout s'équilbre, finalement.

''(voilà pourquoi aujourd'hui je suis en hypokhagne et je rate mon permis) (toujours ce décalage, ce fossé entre les neurones et la motricité)''

Alors ça y est. Maman est partie à l'hôpital. Le petit frère arrive.

Moi je suis intenable. J'hurle dans le couloir : "le bébé le bébé le bébé le bébé!!"

Je veux le voir.

-Il n'est pas encore là.

C'est pas vrai. Il est forcément là. Ca fait un siècle que maman est partie.

Finalement je m'endors. Dès que je méveille je recommence mon cinéma:

- le bébé le bébé le bébé le bébé!

Enfin la porte s'ouvre. Maman me sourit.

Elle tient dans ces bras un petit machin tout rose. Je crois que je fais la grimace. C'est moche ce truc.

Alors c'est ça un bébé?

Je suis désespérée. J'explique mon problème à Papa. Mais comment est ce que je vais pouvoir jouer avec lui moi ? Il ouvre même pas les yeux, il a pas de cheveux.

Bon. Maman est l'air contente. Papa aussi.

Tous les eux s'extasient et me font assoir à côté du truc rose. - Regarde Audrey! -C'est Clément, ton petit frère.

Alors je souris, et je colle un bisou collant sur le front minuscule de cette chose qu'ils ont l'air d'aimer.

Va pour le p'tit frère.

Nous voilà, tous ensemble. Unis comme les quatre doigts de la main. On en a pris pour sept ans et un jour.

Parce que tout le monde sait qu'il manquait un. Bah oui. Ca a cinq doigts, une main.