Je suis dans ma cuisine en train de faire la vaisselle. La télé dans le salon est branchée, j'entends vaguement, c'est l'heure du journal télé. Le canapé-lit est défait comme toujours, j'ai la flemme de le refermer. L'appartement est en désordre comme souvent, comme presque toujours. Mon compagnon est allongé sur ce canapé et il regarde les infos. Je suis dans ma cuisine en train de faire la vaisselle. Une vaisselle qui probablement déborde de l'évier, une de celle qu'on est capable de laisser trainer en préférant aller manger au resto que de s'y coller.
Je l'entends qui m'appelle et d'une voix agacée sans doute j'ai répondu : " Quoi ?" Je suis occupée à une tache que je déteste, alors forcément je dois être agacée. Il me dit : " viens voir ". Je suis presque sure de soupirer, le genre de soupir lassé, un soupir qui raconte que là franchement il me gave, je suis en train de faire la vaisselle.
Mais j'y vais, quelque chose dans sa voix sans doute m'a indiqué que ce n'était pas pour rien comme cela arrive souvent quand les priorités divergent et là ma priorité c'est de finir cette putain de vaisselle. Il me dit : " regarde".
Je m'assois au pied du canapé, à peine une fesse, déjà prête à repartir à ma corvée. Mais cette vaisselle là ne sera pas finis ce jour là. Je suis incrédule d'abord à ce que je vois, est ce un film ? Non, puisque c'est l'heure des infos. Alors c'est réel... Mais quand est ce que ça c'est passé ? ça se passe en ce moment ? Je pleure doucement comme quand j'étais petite fille et que je pleurais sans savoir pourquoi, sans comprendre. Fermée au sens des images, mon corps réponds par les larmes tandis que mon cerveau fuit. J'ai peur aussi je crois.
Nous sommes le 11 septembre 2001. Dans mon appartement en désordre, j'assiste à la mort en direct.
une réaction
1 De andrem - 13/02/2007, 10:37
Bonjour Luce.
Je suis très loin d'y être, à 2001. Mais un souvenir pour accompagner le tien, qui rejoint à son tour tous les souvenirs que chacun garde de cette heure là, 14h30 environ pour nous autres européen, heure inoubliable pour tous ceux qui vivaient ailleurs que sur Mars ou au centre de la terre.
Tu es la première à en parler ici, et c'est bien. Alors mon souvenir à moi de cette heure là: figure toi qu'au moment même où le premier avion explosait, j'étais béatement en train de contempler une autre tour, incertaine au milieu de sa place miraculeuse. Mais depuis six siècle qu'elle s'efforce de tomber, elle n'y est pas encore arrivée. J'étais à Pise, ignorant du reste du monde, et je parlais d'égal à égal avec toute la renaissance italienne.
Poursuivant notre voyage après l'inévitable plat de pâtes pris juste en face, nous sommes passé à Livorno en longeant la base militaire qui s'étend au Sud de la ville. Il était 15h30 heure locale. Quelque chose alors m'a frappé: en masse sortaient les employé de la base, trop tôt pour une heure de fin de travail ou pour un changement de poste, trop vite même pour des italiens. Quand je dis que j'ai été frappé, ce n'est pas exact, certaines bizarreries observées ne se dévoilent qu'après.
N'empêche, l'idée m'est venue d'ouvrir la radio de la voiture. Impossible de capter un poste francophone évidemment; il a fallu insister et finalement nous sommes tombés sur une radio corse, venue de juste en face tant que nous restions en bord de mer. Et les tours ont soudain explosé dans la voiture, anéantissant vacances, veau, vaches, cochons, poulets, et Toscane avec.
Je ne savais pas qu'au même instant tu pleurais doucement, mais la boule là, et là, et là, t'accompagnait dans un sanglot multiplié.