Je vais à la danse. C'est dans un studio dans un autre quartier, au delà de mes frontières habituelles. Nous prenons le métro avec maman, on est souvent en retard, au changement il faut courir dans le couloir, je n'aime pas ça, et bien sûr maman va plus vite que moi, le portillon se referme, je crie "Maman, tu fais des chichis !" et nous ratons la rame. Peut-être bien que nous avons été séparées l'une de l'autre par ce portillon maudit, quelle angoisse ! Je détesterai ma mère pour cela. Ou bien, j'aurai appris de ces courses éperdues à ne jamais être en retard avec mes enfants, ne jamais les bousculer pour que l'on ne rate pas l'heure fatidique. Je devrais aimer ma mère pour cette leçon.

Dans le métro, ce sont encore les vieilles rames, sièges en bois, seconde classe vertes et première classe rouge, et les tickets que l'on poinçonne, incroyable, comme c'est vieux ! Nous descendons à Havre-Caumartin, je suis fascinée par les voies de garage à la station Saint-Augustin, je rêve que je suis enlevée par quelqu'un et cachée par là, mais je serai sauvée, c'est sûr, par le Prince Charmant. Il y a les publicités Du Bo, Du Bon, Du Bonnet qui défilent pendant que je colle mon nez à la vitre.

A la danse, je ne suis pas une étoile. Nous n'avons pas le même souvenir, ma mère et moi, elle me dira que c'est moi qui ai demandé à arrêter, que je n'aimais pas. Je ne m'en souviens pas. Je crois en fait que je ne faisais pas partie des plus gracieuses à ses yeux qui me serviront de miroir sans que je m'en aperçoive, peut-être que j'étais pataude, mes jambes trop arquées, les mollets pas droits, les hanches trop larges, le derrière trop rebondi. Moi, j'aimais bien le tutu, les chaussons, les positions, la quatrième était un peu plus compliquée, et la cinquième bien fermée, je sais toujours la faire, on n'oublie pas, je serai restée souple de cette époque, et j'aimerai la danse, chez les autres, enviant plus tard mes amies, celles qui ont eu le corps pour le faire et la grâce de continuer.