Je suis né au milieu du printemps. Baptisé trois jours plus tard, sans qu'on ne me demande mon avis. Tant pis...

Je n'ai guère de souvenirs de ma naissance, sauf que mon cordon ombilical faisait deux tours autour de mon cou. Mais je me demande s'il s'agit d'un souvenir direct ou d'un ouï dire... Par contre, bien que je ne m'en souvienne pas d'avantage, il paraît qu'un peu plus tard le bébé que j'étais passait des heures, calme et silencieux, dans son landau, sous le cerisier de la maison de son grand-père. Peut-être est-ce en me souvenant de cette contemplation du bruissement des feuilles que, bien plus tard, je ferais de ce genre d'observation mon métier ? Il est amusant, a posteriori, de trouver des raisons à ce qui survient.

Je n'ai pas de souvenirs de cette année-là, et pourtant je revois très bien à quoi ressemblait ce lieu champêtre. Je revois aussi ma mère, si mince, en train de cueillir des roses, et mon père, si jeune, souriant, manifestement heureux de ce rejeton chauve aux oreilles décollées. Je le visualise me donnant le biberon, un peu malhabile et emprunté. Et puis je revois mon grand-père, me sifflant muettement je ne sais quelle musique. Je revois ma grand-mère, encore leste. La caméra super 8 n'est pas pour rien dans ces souvenirs et ceux qui suivront durant toute ma jeunesse. Mon image s'inserera tout naturellement entre le mariage de mes parents, neuf mois plus tôt, et le futur développement de la cellule familiale. Précieuses images qui me permettent de saisir des moments hors d'atteinte de ma mémoire. C'est presque comme si j'y étais...

Je me souviens aussi que quelques jours avant ma naissance, Youri Gagarine était le premier homme de l'espace. Mais ça je ne l'ai appris que bien plus tard. Alors que ma mère devait sentir ses premières contractions, un « quarteron de généraux en retraite » était mis au pli après avoir tenté de foutre le bordel en Algérie, où mon père avait passé dix-huit mois comme tous ceux de son âge. Cette même année était construit le mur de Berlin, dont je me souviens de la démolition, et Renault lançait la "4L", dont je me souviens de la disparition. Ma sensibilité écologiste est sans aucun doute venue avec la naissance du WWF, tandis que dans un autre domaine Amnesty International voyait le jour. Sans aucun rapport avec le procès du nazi Eichmann, seize ans après la fin de la guerre. Alors que mes conscrits Mylène Farmer et Florent Pagny poussaient leurs premiers vagissements, Johnny Hallyday donnait son premier concert (ce qui ne le rajeunit pas...). Brassens, lui, chantait les «Trompettes de la renommée ». George Clooney et Ingrid Bétancourt sont nés cette année là, tandis que mourraient Hemingway, Céline, Cendrars, Gary Cooper, Carl Jung... L'humanité comptait 3 milliards de personnes et, au coeur des trente glorieuses, l'avenir paraissait radieux.

A cette époque lointaine la télévision n'émettait que quelques heures par jour, sur une seule chaine en noir et blanc. La télé était un luxe rare au moment où beaucoup n'avaient pas le téléphone, ni de réfrigérateur, ni de voiture... Les ordinateurs, réservés à des usages de recherche, étaient gros comme des frigos. Et quoique on commençait à faire communiquer des ordinateurs par téléphone, Internet n'était même pas conceptualisable. Quant aux blogs...