La première année... je crois qu'on ne sait pas grand-chose de ce qui s'y joue, de l'évolution unique du petit humain. Le rythme de croissance est ahurissant. Le chef d'orchestre de son évolution n'est autre que le système nerveux central du bébé, interagissant avec les messages du corps et de l'environnement. Tout petit, le tout-petit peut déjà tout. Il est tout. L'univers s'est concentré dans son petit corps ; il lui donne l'élan de vie, la force de dépasser les expériences douloureuses mais inévitables, le pouvoir de continuer de grandir. A la vitesse de l'éclair.
Cette omnipotence s'accompagne de la plus grande des fragilités - une dépendance totale aux parents protecteurs et nourriciers. Le trésor est des plus fragile.

Je ne garderai aucun souvenir de cette première année. Elle s'est perdue dans mes souvenirs, elle s'est disséminée dans les circonvolutions de mon cerveau. Qu'en reste-t-il donc ? Une certitude absolue : c'est elle qui a forgé celle que je suis. Ses forces, ses failles. Je sais aussi qu'elle m'accompagne en sourdine, et c'est vers elle que je tends lorsque je me dépasse. Vers cette puissance dont je n'ai qu'une vague idée, vers ces neuf dixièmes de potentiel inexploité et méconnu.

Je sais aussi que durant cette année, c'est ma grand-mère paternelle qui s'occupe de moi lorsque Maman travaille. Qu'elle est présente et aimante avec les bébés. Je sais aussi que ma mère ne pousse que rarement mon landeau ; elle se sent dévisagée par les passants - elle paraît encore si jeune, comment se peut-il que cette gamine, avec un landeau... ?
Bien sûr ses souvenirs à elle en disent long sur ses sentiments d'alors. Je suis arrivée trop tôt, ces vies qui m'accueillent bras et coeurs ouverts sont irrésistiblement attirées par d'autres lueurs.
Je ne serai jamais leur lumière.
Je choisirai donc l'ombre.