Comme l'on se souvient, enfin j'ose l'espérer, je disais donc, comme l'on se souvient, particulièrement en ce moment, de l'année 2002 et de la France qui se réveille en ce mois d'avril avec effroi, forcément, 2002 pour moi c'est d'abord cette prise de conscience que j'ai déconné. A force de ne pas m'y intéresser, à la politique, à force d'être de gauche par éducation sans plus savoir vraiment pourquoi, à force d'entendre les déçus de la gauche dire que la droite et la gauche c'est pareil, ben j'ai voté, à ce premier tour, pour rigoler. je n'ai pas vu le danger venir, je me suis prise la claque de plein fouet. Après, comme beaucoup, je suis retournée dans mon bureau de vote pour la grande "enculade" collective, et ça a fait mal.

A replonger dans mon passé, je m'aperçois que le "conte" de ces années se perd et se mélange. Quelle importance au fond, puisque toutes ces années forment un groupe compacte, ou mon travail et ma vie privé ne font qu'un.
2002, est ce l'année du temps et la chambre ou est ce l'année de mademoiselle Julie ? Je ne sais plus ... En tout cas ces années là, celle ou j'ai répété ce spectacle, je me souviens que j'ai mis mon désir d'enfant de côté, cela faisait... trop longtemps que nous essayions. Je me souviens que j'ai sur-investi ce travail, et je me souviens de ce qu'il ma couté.

Aujourd'hui encore j'ai du mal a revenir sur cette période. J'étais comme noyée dedans, toute mon énergie concentrée pour ça, plus aucune disponibilité pour rien d'autre. Je me suis fermée à tout ce qui n'était pas ce travail. J'ai oublié d'écouter ma vie autour.
Je me souviens de certaines séances de répétitions avec Marie Steuber*, avec Olaf*. C'était bien, on s'amusait bien et puis on sentait que quelque chose de beau était en train de naître. Je me souviens aussi d'autres séances, plus collectives, ou le doute me prenant, prenait toute la troupe. Je me souviens d'avoir beaucoup pleuré d'impuissance dans ces moments là. Je me souviens que ce texte était peut être trop intime pour moi finalement, qu'il était difficile de leur expliquer ce que je ressentais pourtant avec acuité. J'ai beaucoup douté sur ce travail, douté de moi, méfié de moi presque... Je me souviens de malentendu que je ne parvenais plus à dissiper parce que nous nous connaissions tous si bien, on s'aimait tous tellement, j'avais peur de leur faire du mal. On ne peut pas faire une bonne mise en scène quand on a peur de faire mal à ses comédiens. Et puis j'avais trop besoin d'être aimée d'eux pour assumer pleinement mon rôle. Cependant, au final, ma direction d'acteur ne fut pas trop mal.

J'avais trop de pression, trop de choses à gérer en même temps et trop peu d'expérience pour réussir vraiment ce défi. Mais c'est sans doute durant ce travail que j'ai le plus appris. Non, plutôt après ce travail, quand avec le recul j'ai pu comprendre ce que j'avais vécu et en tirer les leçons. Pendant, j'ai beaucoup subi.

C'était une aventure démente, une belle aventure en faite... Mais, elle m'a laissée un gout étrange dans la bouche, le gout de la fin d'un temps. J'avais dit avant de me lancer, qu'il fallait que j'arrête de faire de la mise en scène pendant un moment. Je me sentais fatiguée, et pire que tout je sentais que j'atteignais mes limites, qu'il me fallait aller chercher ailleurs de la nourriture avant de pouvoir y revenir. Et puis moitié pression de la troupe, moitié envie de ma part d'aller triturer ce texte qui m'émeut tant et qui m'effraie en même temps, je me suis jetée dans l'arène et je me suis fait bouffer par les lions.

Pas de regret, non, bien sur. Il nous fallait ça sans doute pour accepter de nous séparer, tous. Et encore, ce fût difficile. Cette troupe, c'était je crois pour chacun de nous, une petite famille. Je me souviens que nous fêtions Noël ensemble, je me souviens que ce sont eux qui m'ont réconcilier avec les anniversaires. Je me souviens qu'ils ont été mon seul univers pendant bien longtemps, riche et rassurant. Je me souviens de la confiance qu'ils avaient tous en moi, de la façon dont chaque fois ils m'ont suivi, inspiré, stimulé. Ces années là, ces belles années de réussite, celles dont je peux être fière aussi, parce que j'en ai réalisé des choses, je leur doit beaucoup. Nous nous devons beaucoup. Merveilleuse troupe de saltimbanques, de saltimbranques, tous si différents, avec des caractères puissants, des égos bien ancrés, une équipe de fous pour une folie, celle de faire ce qu'on aime avec le plus de liberté possible et des moyens presque inexistant. Nous avions juste cette envie féroce de le faire, cette naïveté sublime d'y croire. Nous nous appelions "Vis Fabula", la force de la fable, ça nous allait bien.
D'écrire, décrire ce que nous fûmes me donne l'occasion d'un salut, d'une reconnaissance peut être jamais bien dit. Je retrouve mon émotion intacte, je les aimais, je les aimerais toujours, comme on aime à jamais sa jeunesse...

  • Je mets volontairement les noms des personnages et non ceux des comédiens par respect pour eux.