C'est maintenant que ça devient difficile... C'est la fin d'un temps, d'un monde, d'un rêve. C'est la fin de huit années de foi, de batailles, de fou rires et de larmes... C'est la fin de tout ce qui a été ma vie durant huit années.

Janvier : Nous jouons "le temps et la chambre" de Botho Strauss. L'année 2002 a été consacrée à ce travail. Cinq représentations pour une année de boulot, c'est dérisoire mais nous sommes heureux quand même parce que nous sommes habitués à ces conditions de travail.
On m'attend au tournant. C'est ma cinquième mise en scène avec la troupe. On ne me rate pas, les professionnels surtout. Les critiques sont rudes, rarement constructives, proche de la haine. Je ne comprends pas bien pourquoi tant d'acharnement. Tellement violent qu'il est impossible de prendre tous ça au sérieux. Je pense que je ne suis qu'un pion dans d'autres combats de coq. Un me dira : " ne vous découragez pas, on vous demande beaucoup plus à vous, nous connaissons d'autres personnes qui ont plus de pouvoir que vous n'en avez, à qui on passe bien plus d'erreurs et de médiocrité". Mais quand même, on me signifie que j'ai échoué, et je le sais. Un échec pas total étant donné les circonstances, mais justement, m'être laissée piéger par ces circonstances, il est surtout là mon échec. Je n'ai pas refait de mise en scène depuis. J'attends ...

Février : Séparation. Huit années de vie commune, il était mon partenaire à la scène comme à la vie. Huit années à croire et à espérer une chose qui ne viendrait jamais, à se leurrer l'un l'autre, à se faire autant de bien que de mal, un peu plus de mal que de bien au fur et à mesure que le temps passe, pour finir renoncer. Renoncer d'abord à cet enfant qui n'est pas venu, renoncer à nous ensuite. Ce nous sur lequel j'avais misé comme on mise sur l'avenir. Huit années pour apprendre la plus dure leçon de mon existence: à croire en un avenir possible, on s'aveugle sur le présent, s'aveugler sur le présent c'est faire un déni de réalité, nier la réalité c'est préparer consciencieusement une bombe qui nous pète à la gueule un jour ou l'autre. Elle a explosé au mois de février 2003, mon coeur en miette, j'ai cru mourir... Et puis ...

Les mois qui suivent sonnent le temps de la confusion, de la peur. Je perds tout en même temps, un amour, mon boulot, je me retrouve sans presque plus de ressource. Me voilà revenu à mes débuts. Célibataire, sans enfant, avec un revenu aux alentours de 3000 frs, je ne suis pas encore habituée à l'euro à cette époque. Sauf que je n'ai plus 20 ans et la hargne qui va avec. Je conjuguerais mon épuisement à tous les temps. Mes larmes seront intarissables. J'aurais tellement peur de ne pas me relever cette fois. Cette impression que trop de batailles ont eu raison de moi, que celle là fût celle de trop, je lâche, j'ai peur, je lâche...

En mars il y aura cette trahison qui viendra parachever l'ensemble. Cette année là est faite pour tout détruire, vraiment. Ne laisser pas même de ruines. Je me mets à sortir, à m'étourdir de monde moi qui déteste la foule. J'ai besoin de bruits autour de moi, un autre bruit que celui de mon coeur qui bat seul désormais. Je rit aussi fort que je pleure, je mets des décolletés étourdissant, je me fais croire que je cherche déjà à recommencer mais je ne trompe que moi même... Même les séducteurs en série n'osent profiter de mon état, pitié de moi je crois... Je transpire la peur, celle de souffrir encore, celle de me tromper encore. J'ai totalement perdu confiance en moi. Je lâche, j'ai peur, je lâche...

En avril je pars en corse avec des amis. Merci à eux. Je pleure seule le soir dans mon lit, mais la journée au moins je m'apaise un peu. C'est à la fois déconnant et intime, juste ce qu'il me faut. Deux d'entre eux se relaient pour entendre mes confidences. Je suis surprise de les trouver là, je leur suis reconnaissante. C'est un beau souvenir ce voyage, une bulle d'air dans mon marasme. Le début d'un mieux.

Cet été là, je le passerais à dormir sur la plage...