J'ai passé neuf mois de cette année dans le ventre de ma mère. Nous aurions voulu plus - on ne nous a accordé qu'une journée. Le 2 octobre, le bloc était prêt, l'équipe au complet, les scalpels aiguisés. Il fallait y aller, disait-on.
Je n'aurai pas eu l'assaut des doutes, ni l'ivresse de la décision qui se concrétise.
Je suis née par surprise.
Dans les lumières trop vivres, le froid inconnu, sous ces regards scrutateurs et inhumains.

A son réveil, l'infirmière a roulé le petit berceau jusqu'à son lit. Un seul regard lui suffit : "Ce n'est pas elle. Ce n'est pas ma fille."
Car elle savait depuis le début, du fond de son âme et de son corps, qu'elle portait une fille. En ce matin d'octobre, ses chairs malmenées, exsangues, lui crièrent le malentendu.

Neuf mois et un jour avaient tissée la trame délicate et solide de la relation qui s'amorçait. Nous n'aurions pas assez de toute une vie pour y déposer nos couleurs...
Pour l'heure, une mère trop faible et un nourisson trop petit pleurent l'éloignement que la rigueur de l'époque leur impose. Trois semaines plus tard, elles sortiront ensemble de l'hôpital.La mère était épuisée ; sa minceur extrême la faisant paraître encore plus jeune, sans qu'elle lui permette de reporter une reprise de travail imminente. La fille, à demi vaincue, alignait déjà de longues nuits de sommeil. Peut-être retrouvait-elle dans ces trèves solitaires le réconfort et la chaleur qui s'en étaient allés sans prévenir ? A moins que ne s'exprime une propension qui ne la quittera plus, un besoin fondamental de se ressourcer par le repos ?

Les jeunes parents décidèrent de confier tendrement leur toute-petite à la grand-mère paternelle, pendant que la mère put alléger ses horaires de travail avec la bénédiction de son employeur bienveillant.

La vie sera toujours douce dans les bras de Maman...