Je suis née à Montmartre. Enfin, pas tout à fait, au pied de Montmartre, pas très loin de la porte de Clignancourt. Mes parents habitaient un petit trois-pièces à Issy-les-Moulineaux, mais comme mon père était conscrit, ma grand-mère avait proposé à sa fille d’accoucher dans ce quartier, où elle habitait. « Comme ça, tu ne seras pas toute seule. »

Mon père attendait de partir pour l’Algérie, pour la guerre, comme des milliers d’hommes de son âge (tout juste 20 ans), ma mère (à peine 22 ans) attendait que je daigne enfin sortir de son ventre (dix jours de retard)…

Ces deux-là s’étaient rencontrés chez une amie commune. Ma mère feuilletait un magazine quand elle entendit quelqu’un entrer. « Je me suis retournée, et mon regard est arrivé à hauteur de sa ceinture… Alors j’ai levé les yeux… Et là… » Un gamin d’à peine 19 ans et une gueule d'amour…
Ils ont vécu les péripéties des amoureux, se sont séparés, se sont retrouvés. Puis se sont mariés. Elle était enceinte, mes grands-parents, qui chacun de leurs côtés étaient contre cette union (mon père n’avait pas de métier et n’avait pas fait son service, dixit le côté maternel ; ma mère n’était pas du même monde, dixit le côté paternel) n'ayant pu s'opposer à cette union plus longtemps.
C’est donc en avril 1959 que j’ai fait mon apparition sur cette Terre. Que j’ai failli quitter en aout de la même année. Ma mère avait recommencé à travailler. Bien obligée, elle était soutien de famille, ce n’était pas avec la solde de mon père que nous allions manger. J’allais donc à la crèche.

La crèche de ce temps, dixit ma mère, n’avait rien des endroits accueillants que nous connaissons de nos jours. C’était un guichet, du genre Sécurité sociale (et encore, même à la Sécu, cela n'existe plus). On déshabillait le bébé, on le passait par le guichet où deux mains le prenaient en charge pour l’habiller. Ma mère me voyait donc disparaître tous les matins entre des paluches étrangères et inconnues. Ce qui est tout de même traumatisant. Un soir d’aout, elle me récupéra malade. Je vomissais tout ce que j’ingurgitais. Et avec la chaleur ambiante, je ne mis pas longtemps à être déshydratée. Panique de la jeune mère, mais bon réflexe. Elle appella son amie médecin qui me prit sous le bras et fonça à l’hôpital Trousseau, dont j’ai, depuis, beaucoup entendu parlé sans y avoir jamais remis les pieds. Je ne sais même pas à quoi cela ressemble…
Je passais à deux doigts de la mort.
Ma mère me retira de la crèche définitivement, elle avait appris que, sans même l’avertir, les puéricultrices, pour ne pas s’embêter la vie, m’avait passé du lait maternisé au lait de vache entier. J’avais 4 mois, on était en pleine canicule. Je ne l’ai pas supporté.

A l'automne, j'étais remise et même plutôt en forme. Mon père en permission, nous descendimes chez mes grands parents, à Cannes, où je devais passer de longs séjours les deux premières années de ma vie. Quand les temps se firent trop durs pour ma mère, seule à Paris. En attendant, c'était le bonheur à trois, deux gamins et un bébé…

1959


Peu de temps après, mon père partit pur l'Algérie