Il y a des années qui semblent incertaines quand on y pense trop tôt. Quand le projecteur de la mémoire est encore trop près pour qu’on puisse en déterminer la couleur. Comme ces vêtements que l’on doit exposer à la lumière du jour pour en être sûr : Noir ou bleu marine ? Rouge ou rose ? Bleu ou vert ? Blanc ou beige ?

Mon année 2006 m’a d’abord parue trop fraiche pour la qualifier précisément. Le premier mot qui m’est venu à son sujet, c’est « flou ». Une année floue, c’est ça. Trop près de mes yeux, sans doute. Et dépourvue d’évènement tellement marquant qu’il en serait la définition à lui seul. Ce n’est pas avec évidence « l’année de ce mémorable XXX, tu te rappelles ! ». Non, c’est l’année de plein de petits riens, ou de petits quelques choses, dont certains s'avéreront peut-être fort importants un jour, tissés entre eux pour faire 12 mois, voilà.

A bien y réfléchir, ce serait plutôt une de ces années qui ressemblent à un nettoyage de printemps, de celles où on vide les tiroirs, on aère les placards, on attrape des vêtements plus portés depuis longtemps en s’interrogeant : « Est-ce que je le remettrai ? Est-ce bien utile de le garder ? ». J’ai fait du rangement.

Une année qui démarre étrangement, avec une amitié qui semblait si précieuse brusquement tombée en panne pour des raisons mystérieuses. Dont on s’aperçoit qu’elle n’était plus sous garantie. Et qu’une amitié ne se remplace par aucune autre. C’était pendant ma première extase de l’Inde. Drôle de période de vœux, qui augurait de pas mal de bouleversements, infimes ou importants, au rayon des autres, tous les autres.

2006 a vu la remise en question ou la rénovation d’autres relations. Et l’invention de nouvelles. Il y a eu d’autres ruptures ou éloignements, surprenants ou attendus, soulagements ou chagrins. Et puis de l’huile remise dans certains rouages grinçants : même l’amitié a parfois besoin d’être rénovée, mais l’on sait bien qu’on ne se lâchera jamais la main. D’autres relations sont comme des verres d’eau dans lesquels il y aurait eu tempête. Alors il faut laisser reposer, jusqu’à ce que le sable retombe au fond et que l’eau soit claire à nouveau. Et on fera bien attention à ne plus le secouer si violemment. Il y a eu un coup de foudre amical au féminin, rareté que je n’avais plus connue depuis longtemps, la sensation de rencontrer un complément essentiel à soi-même, si différent, si semblable. Il y a eu un regard plus aigu sur quelqu’un qui était là, tout près, depuis longtemps, mais je n’y avais pas prêté attention, ou pas assez. Il y a des gens qui m’ont vraiment épatée, d’autres agacée franchement. Et sans doute réciproquement. Dans tout ce fatras d’émotions et de sentiments divers, j’ai essayé de mettre un peu d’ordre. Sans y parvenir vraiment, évidemment, et je n’y tiens pas tant que ça : ce serait un peu triste de pouvoir régenter ses sentiments.

Il y a eu des inquiétudes violentes sur la santé de gens que j’aime. Apaisées à la fin de l’année. Je les guette du coin de l’œil, quand même, si fragiles.

C’est drôle, j’ai l’impression que 2006 était une charnière, une année de révision, un passage au garage. Pour aller où ensuite, je n’en sais trop rien, ma foi. Je ne déteste pas cela.