En 2006, j'ai 45 ans. Quand sonnent les dernières heures du 31 décembre, je me dis que c'était une bonne année. Peut-être même la meilleure que j'ai vécue.

Une année de réalisation.
Une année de réalisations.

En 2006, j'ai aimé et je me suis sentie aimée de la tête aux pieds, du sol au plafond, aimée comme une femme, corps à corps, peau à peau. J'ai senti dans toutes les cellules de mon être la montée du plaisir, du désir, la réalisation de nos envies, de nos émois. Et pourtant, en même temps, je sais que c'est la fin de la liaison passionnée qui me noue à D. depuis plus de deux ans. Nous avons tourné nos scenarios dans tous les sens, il n'y a pas d'autre alternative. D. et moi nous savons la force mais aussi les limites de notre attachement. Nous avons vécu pleinement ce que nous avions à vivre et nous savons aussi que nous aurions aimé faire un but de chemin ensemble. Mais ni l'un ni l'autre ne sommes prêts à payer le prix de l'exploration de ces terres inconnues. Pour lui, démanteler sa famille, pour moi, changer de ville, n'avoir plus que lui pour point d'ancrage. Nous ne nous sentons pas capables de nous rendre heureux dans ces conditions.
Pendant deux ans, le destin nous a été clément. En cette fin 2006, D. décroche enfin le contrat de travail dont il rêvait, mais au prix d'un déménagement qui met fin à nos petits arrangements de vivants.
Pour la première fois de ma vie, j'accepte une rupture. Nous nous accompagnons l'un l'autre sur le chemin, nous nous disons les mots de l'amour et acceptons de regarder les choses en face sans que ni lui ni moi ne nous sentions abandonnés ou lésés.
C'était une belle histoire. J'en sors plus forte, plus audacieuse et sûre que la vie me réserve encore d'autres belles surprises, comme le fut cette rencontre.

En 2006, j'ai réglé le problème du logement de ma mère. Du coup, j'ai remis ma mère à sa place. Je ne vis plus avec l'angoisse de la savoir mal logée, dans une maison qu'elle était incapable d'entretenir, qui m'appartenait et dont je me sentais responsable. Nos relations se déploient autrement. En rangeant et triant ensemble, nous dénouons et renouons autrement nos liens.
Ma mère me fait un cadeau inespéré : elle me donne deux cartes postales que mon père lui avait envoyées au tout début de leur rencontre. Tout le reste, correspondance, photos, elle l'avait brûlé en apprenant qu'elle était enceinte. Voir l'écriture de mon père, regarder le nom de ma mère écrit par lui me donne le sentiment d'une réparation intérieure.

En 2006, j'ai mis en route et presque terminé un autre processus de réparation : j'ai décidé de faire soigner mes dents. J'avais des dents de pauvre, réparées de bric et de broc avec de grands trous, des béances et des fragilités. J'investis dans la pose d'implants puis, dans la foulée, je refais à neuf toutes les dents soignées un peu, bricolées, branlantes, pour prendre un nouveau départ du côté des mandibules.
Ce n'est pas anecdotique pour moi. Je paie cher, mon dentiste devient presque mon analyste, au fil des semaines, la reconstruction avance. Je pleure beaucoup chez mon dentiste, je m'évanouis même deux fois. Pourtant c'est l'homme le plus doux du monde, et ma mâchoire est endormie. Je sais bien que la question est ailleurs, dans le mot même de "reconstruction". Quitter la peur et aller de l'avant. Je retrouve le plaisir de croquer et je renonce à mes chicots : j'ai assez de cicatrices comme ça à contempler les jours de vent neigeux.