Février. J'ai un amoureux ! J'ai un amoureux !

« Allo, Julie ? Devine ? ... Siiiiiiii ! » « Allo, Isobel ? Il habite à Menton, on s'est rencontrés au ski, tu sais j'étais avec Claire. L'était perchman sur la piste grands débutants. » « Allo, Jean-François ? Naaaan mais il est pas lycéen, il travaille, il est super vieux, dis, plus que toi. Notre anniversaire tombe à deux jours d'écart on fêtera ses 21 et mes 16 ensemble en novembre. »

On s'écrit, deux, trois, quatre fois par semaine. Je guette les enveloppes à l'écriture serrée, nos lettres souvent se croisent. C'est ennivrant. Claire aussi a un amoureux. Il veut devenir psychanalyste ou phillosophe, il a pas décidé, alors il s'entraîne déjà avec nous : on lui raconte nos rêves et il les interprète. Nan mais sérieux, Serge, c'est vraiment toujours sexuel ? Ben merdalors !

Ah d'ailleurs, tiens, à propos... mon amoureux m'écrit qu'il viendra à Paris pour la rentrée prochaine, il va s'installer à la capitale. Gé-nial ! Mais quand j'ai annoncé ça à la famille, Cassandre a dit à ma mère qu'il serait temps de m'emmener chez un gynéco, pour qu'il me prescrive la pilulle. » Ah ? Euh... euh... ah oui. Ah ben oui. Houlala. Houlalalala. Non mais faut pas paniquer, maman a dit que ça faisait un peu mal la première fois mais plus après. Qu'après c'était génial à condition de tomber sur le bon gars. Bon, d'accord. Et puis j'ai Notre corps nous-mêmes dans ma biliothèque évidemment. Mais quand même, je crois que j'ai un peu peur. Mais juste un peu hein. C'est rien du tout, je le sais. Toutes les femmes ont eu une première fois pas vrai ? Et à part la tante barrée, ça ne les a pas empêchées de remettre ça.

Oui, mais est-ce qu'après, même admettons que ça ne fasse qu'un tout petit peu mal, est-ce qu'après je ne vais pas être asservie, humiliée, dépossédée ou un truc du genre ? Depuis toute petite, les dimanches soirs chez ma frangine, pendant que les adultes n'en finissaient pas de refaire le monde, j'allais bouquiner dans la chambre de Cassandre et Dom. Il y a quelques années, je devais avoir douze ou treize ans, quand j'ai eu fini tous les Zévaco, je suis tombée sur le bouquin dont ils n'arrêtaient pas tous de parler d'une certaine Kate Millett. La politique du mâle, ça s'appelait. Je lisais un peu les passages où elle expliquait tout ça. Les risques je veux dire. Les risques de se faire ratatiner. Et puis pour illustrer elle collait des passages de romans pornographiques, pour expliquer à quel point. Et alors le truc qui me fiche sacrément la trouille là, alors que M. Bientôt Premier va débarquer à Paris, c'est que ces passages ça me... enfin ça me... ça me faisait quelque chose. Alors que ça aurait pas dû, je le voyais bien à ses commentaires. Ça aurait dû me faire penser des « pouah, trop rabaissant avec les femmes », mais non, ça me faisait pas ça du tout, ça me faisait des trucs, et pourtant ça n'était rien qu'un livre. Alors un vrai gars ? Et un qu'en plus je serais amoureuse de[1] ? Eh ben là je voyais bien ce qui m'arriverait. Ratatinée sans même me révolter.

Houlalalala.

On y est. Monsieur de Plus en Plus Bientôt Premier est à Paris. Qu'est-ce que je suis conteeeeeente ! Et lui aussi je le vois bien. Il sait que pour moi ça sera la première fois et aujourd'hui je me rends compte rétrospectivement que ça lui fichait la trouille à lui aussi, et que vingt ans ben c'est pas bien vieux ! « Tu as peur ? » « Oui, un peu. » « Ben alors, juste un câlin. » Et je m'endormais dans ses bras. Et la scène se reproduisit un certain nombre de fois, jusqu'à ce que je me dise que ça n'aurait jamais de fin si je continuais à répondre oui à chaque fois. Alors un jour j'ai dit « Non, pas du tout peur. » Spa la peine de faire du théâtre si on est pas capable d'assurer une impro aussi basique hein.

Ça m'a même pas fait mal. Ni la première ni les autres fois. Mais je n'ai pas bien compris pourquoi ça mobilisait autant d'encre, de salive (tssssst, esprits mal tournés !) et de conciliablules des garçons entre eux et des filles entre elles. Il manquait un ingrédient, le lâcher-prise, et celui-là m'a fallu du temps pour le trouver. Beaucoup de temps. Et pas avec Monsieur Premier. Pourtant je l'aimais beaucoup très fort. Et il avait les yeux de Simone Signoret.

Notes

[1] © Xave. Je lui pique cette expression que je suis amoureuse de.