20 décembre 1990, 0h45. C'est une fille ! J'ai passé ma grossesse entière à m'endormir en n'importe quelles circonstances, dans n'importe quelle position et à n'importe quelle heure du jour. J'ai mis en place un attirail de ruses de Sioux pour convaincre Meusa que le meilleur endroit du monde c'est au lit avec Maman, sur le canapé avec Maman, dans une chaise longue avec Maman, et le reste avec Papa et les autres grandes personnes. La télé a été déplacée dans la chambre et je me livre sans scrupules aux plus éhontées des manœuvres : « Ooooooooooh, chouette alors, dis, Meusa, c'est l'heure de la Petite Maison dans la prairie, trooooobien ! » Et hop ! tous les deux sous la couette, en faisant attention de ne pas ronfler trop fort pour ne pas le déconcentrer de « La P'tite Marie de la maison », comme il disait, ou autres passionnants feuilletons ou émissions enfantines qui m'assuraient ma sieste pépère.

(Oh mandieumandieumandieu, elle fait regarder la télé à son fiston à peine sorti du moule, le pôôôôôvre ! L'instrument du Mal dans nos maisons, le malheureux enfant va devenir bête comme ses pieds, idôlatrer PPDA et refuser d'aller jouer dehors ! Mauvaise mère ! Putréfaction ! Che Guevara va se retourner dans sa tombe ! – Oh foutredieu, mais que c'est booooon de dormir !)

Je n'ai pas voulu connaître le sexe de mes enfants dès les échographies, j'aime bien les surprises et ne l'apprendre qu'à la naissance me semblait participer au déroulement complet du rituel tel que je l'imaginais depuis l'enfance. Et me voilà de retour à la maison pour le réveillon de Noël avec ce nouveau bébé (Et le bébé il va où, lui, maintenant que tu rentres ?, me demande Meusa en venant me chercher à la maternité). Une petite fille pour la plus grande satisfaction de tous. Surtout des autres. Nous voulions un deuxième enfant mais le sexe d'icelui nous importait bien moins qu'à notre entourage. C'est un phénomène assez curieux que la plupart des parents finalement s'en fichent tandis qu'autour d'eux (y compris ceux qui pourtant sont parents eux-mêmes) le souhait d'une diversité des sexes semble aller de soi.

(Lorsque mon amie Claire a accouché de son troisième garçon, quelqu'un lui demande, évidemment : « Ah, ben tu vas en faire un autre alors, pour avoir la fille ? » « Seulement si j'ai très envie d'un quatrième garçon », répondit ma copine-à-moi. Et toc.)

Pas d'enfant unique, c'était surtout ça qui nous importait, à l'un comme à l'autre. Et si le choix d'avoir des enfants ensemble s'était fait au terme de longs mois, années même, s'il avait fallu vaincre les réticences de mon compagnon pour notre premier, la décision de mettre en route le deuxième ne fut examinée que sous l'angle de l'écart (théoriquement) idéal entre eux. Mon compagnon était l'avant-dernier d'une fratrie de cinq, plus tribu que famille à bien des égards, et quoi qu'il en dise créant des souvenirs d'enfance heureux. Compte tenu de notre écart d'âge entre ma sœur et moi, qui en fit plus une deuxième petite mère qu'une frangine, je me sentais plutôt enfant unique et m'en désolais. D'autant que mes parents, fort désobéissants, avaient refusé de me fournir le grand frère un peu plus âgé que moi que je leur demandais.

Je ne sais pas ce qu'il adviendra des relations entre mes enfants lorsqu'ils seront adultes tous les deux. Leurs premières années et aujourd'hui encore pour une large part furent plutôt bagarreuses, franchement hostiles, même, à certaines périodes. Je commence à comprendre ma belle-mère qui se rend malade à chaque conflit entre ses enfants (50 à 65 ans et ça dure encore...). Ce doit être difficile pour des parents de constater que leurs enfants n'ont rien à se dire, rien à partager que des rancœurs ou de l'indifférence.

En revanche, en tout cas pour ce qui me concerne, avoir deux enfants m'a permis d'écarter le fantasme de la toute-puissance ou de la toute-culpabilité parentale : ils sont si terriblement différents qu'il faudrait être de bien mauvaise foi pour s'imaginer qu'ils ne se construisent pas aussi ailleurs que dans votre petite cellule familiale !