Mars 2003. Un nouveau forum autour de l'opéra vient d'ouvrir. Les nouveaux inscrits viennent presque tous du premier auquel j'ai participé. Quelques-uns interviennent indifféremment sur l'un ou l'autre mais la plupart « choisissent leur camp ». En 2005, c'est un troisième forum qui se crée. Vive la pluralité ? Certes. Mais avant tout l'existence de ces trois forums traduit des querelles intestines. En témoignent par exemple l'absence de liens les uns vers les autres et pour l'un deux au moins une surveillance milimétrée par les admins et modos des IP et des pseudos pour débusquer les traîtres, les tenir à l'œil, s'interroger sur leur éviction putative dès que leur identité est certaine.

N'allez surtout pas leur dire qu'il y a de la place pour tout le monde ou que le débat s'enrichit de nos différences, chacun d'entre eux se réjouit de la baisse du nombre de messages de celui-là, des soucis de serveur de celui-ci, de telle dispute là-bas qui espérons-le créera un schisme dont le concurrent ne se remettra pas. Selon le degré de vernis, ça va du « quel dommage, mais c'était à prévoir » au « qu'ils crèvent ! ». Une simple question de nuance.

C'est ainsi de tous les microcosmes que j'ai connus de près : les folles lyriques, la littérature, le militantisme, le libre. « Avec deux trotskystes on fonde un parti, avec trois des tendances, à quatre une scission », nous gaussions-nous dans les années soixante-dix. A ce régime-là, nous sommes tous trotskystes...

La paille entre le voisin et moi prend plus de place que la poutre qui fait passerelle entre nous. Au nom du respect d'un Evangile dont chaque f(r)action détient la seule Véritable Version, on apostrophe son proche ennemi. Etre poète et publié par une grande maison d'édition ? Compromission ! Ne pas livrer les sources d'un logiciel minute par minute ? Propriétaire ! Du cross-over ? Déliquescence ! Se marier ? Bourgeois !

A quinze ans on trouve ça pittoresque (ça ne peut être qu'un jeu) et on écrit sous pseudo des articles pour le journal d'en face. A trente ans on tombe des nues : quoi, les poètes sont donc rivaux, moi qui les imaginais se serrant les coudes dans les derniers bastions de la littérature ? A quarante-trois ans on se dit que décidément c'est à n'y rien comprendre, on s'en fout non ? A presque quarante-six ans on s'en fout pour de bon. Laissez pisser le mérinos les gars.

Aurais-je aimé que l'Opéra de Paris aie besoin de mes services ? Houlala, que nenni. Il fait si bon dehors !